Fin janvier 1905, le grand-duc Vladimir Alexandrovitch de Russie accorda une rare interview à un journaliste étranger sur la situation en Russie. L’oncle du tsar Nicolas II, le grand-duc Vladimir, âgé de cinquante-sept ans, gouverneur militaire de Saint-Pétersbourg, parla en toute franchise des événements du 22 janvier 1905 (9 janvier), connus dans l’histoire sous le nom de « Dimanche sanglant ». Il fut noté que le grand-duc Vladimir « est de forte carrure et de visage basané, a les cheveux gris fer et ressemble plus à son frère, l’empereur Alexandre III, qu’à son neveu, l’empereur Nicolas II. Bien que son visage et sa silhouette portent les marques d’une maladie récente, l’énergie nerveuse dont il fait preuve donne l’impression d’un homme fort et d’action ». L’interview eut lieu à la résidence du grand-duc à Saint-Pétersbourg.
Grand-Duc Vladimir : « Vous devez vous rappeler que je suis grand-duc et sujet de l’empereur. En tant que tel, je lui suis extrêmement fidèle et je suis russe de la tête aux pieds. Quelles informations puis-je vous donner ? »
Correspondant : « Les journaux étrangers ont fait de nombreuses déclarations concernant les événements du 22 janvier. »
Le Grand-Duc Vladimir : « Je sais, j’ai lu des articles dans la presse étrangère. J’ai été consterné par les histoires effroyables de massacres de personnes innocentes qu’ils ont publiées. Je sais qu’ils disent que des patriotes bien intentionnés, avec un prêtre à leur tête, venant pacifiquement présenter leurs griefs à Sa Majesté, ont été impitoyablement abattus dans les rues, mais nous savons que derrière ce cortège pacifique se cachait un complot anarchiste et socialiste dont l’immense majorité des ouvriers n’étaient que des instruments innocents. Nous savons, grâce à l’examen des morts et des personnes arrêtées, que certains prétendus prêtres étaient en fait des agitateurs révolutionnaires et des étudiants déguisés.
Il nous fallait sauver la ville d'une émeute. Malheureusement, innocents et coupables en souffrirent tous. Mais supposons que 140 000 hommes aient atteint les portes du Palais d'Hiver ; ils l'auraient mis à sac comme la foule a mis à sac Versailles. Du palais, ils seraient partis ailleurs et toute la ville aurait été livrée à l'anarchie, aux émeutes, au carnage et aux flammes. Notre devoir était le devoir de tout gouvernement. La même situation s'est produite dans d'autres villes du monde.
Why, because this occurred in Russia, should the whole world point the finger of scorn upon us? In the midst of our difficulties why should we be turned upon? Why should America, especially, misinterpret and think ill of us? We have always been friends – friends of a century, friends when American needed friends. I remember when America was our great friend. Why has all this changed? What has Russia done to deserve it? What has Russia done to America?
Why should the foreign press, especially that of Great Britain, not hesitate before any calumny? No invention seems too horrible for them to print. They do not explain that on Saturday every available wall in Saint Petersburg was placarded with warnings to the people not to assemble. No; they tell that thousands of innocent people were killed and other thousands wounded and paint the streets as running red with blood. They even say the dead were pushed under the ice of the Neva at night. It is infamous.
They say nothing of isolated officers set upon by mobs in the streets and hammered into insensibility or of policemen killed or wounded.
As a matter of fact, complete returns show that exactly 126 are dead. Several hundred were wounded. I cannot give the precise figure of the wounded, but you shall have an opportunity to see the full reports.“
Correspondent: “They say that Gorky will be hanged.“
Grand Duke Vladimir: “Nonsense.“
Correspondent: “It is asserted that some of the troops refused to obey commands.“
Grand Duke Vladimir: “There is no question of the loyalty of the troops. They did their duty. They were ready, as I am ready, to die in the streets for the Emperor. A soldier was asked by one workman why he fired, the questioner saying to him, ‘You will be a workman soon.’ ‘Perhaps,’ he replied, ‘then you may be a soldier and know what it is to obey your oath to do your duty to your Emperor.’“
Correspondent: “Might I ask Your Imperial Highness’s view of the present situation?“
Grand Duke Vladimir: “With this unhappy war upon our shoulders we are passing through a crisis. I will not attempt to conceal it – it cannot be concealed – but, with the help of God, we will emerge from it as we have emerged from other troubles in the past. In the interior there are many elements of discord, but the situation is not so bad as it is painted. The disorders at Warsaw, Kiev, and elsewhere are largely industrial, produced by trade depression and consequent lack of employment on account of the war. They are not revolutionary at base.
Les gens parlent d’une constitution. Une constitution signifierait la fin de la Russie, car l’État disparaîtrait, l’anarchie surviendrait et, à sa fin, l’empire serait désintégré. La Finlande, la Pologne et peut-être d’autres provinces frontalières se seraient séparées. La Russie n’est pas mûre pour une constitution. Allez parmi les paysans, qui constituent la grande majorité de la population de l’Empire, et essayez de leur expliquer le gouvernement par le suffrage. Le paysan ne sait rien du gouvernement. Il ne sait même pas ce que signifie ce mot. Il connaît son empereur. Pour lui, l’empereur est tout. Donnez le droit de vote au paysan et tout serait anarchie. Pourtant, il faut des réformes, et elles seront accordées par l’autocratie .
Correspondant : « En maintenant le principe d’autocratie, le peuple aura-t-il alors la possibilité de se faire entendre au sein du gouvernement ? »
Grand-Duc Vladimir : « Oui. Ils le peuvent, et je suis sûr qu’on leur donnera la parole. J’en suis certain. On leur donnera les moyens de présenter leurs besoins et leurs doléances au Souverain. »
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Environ deux semaines après que le grand-duc Vladimir Alexandrovitch eut donné cette interview, son frère cadet, le grand-duc Serge Alexandrovitch, fut assassiné à Moscou le 17 février 1905.
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